Note d’exposés donnés dans le cadre d’un groupe de lecture de doctorant.e.s autour de la thèse de Deligne.

Introduction, objets filtrés, filtrations opposées

L’exemple à garder en tête comme point de départ est le suivant : si X est une variété kälherienne compacte, la cohomologie de Dolbeault fournit que ses groupes de cohomologie à coefficients complexes Hn(X,C) se décomposent en une somme directe

Hn(X,C)=p+q=nHp,q(X,C)

de telle façon que Hp,q(X,C)=Hq,p(X,C) pour tout p et q. Dans ce cas Hn(X,C) est une structure de Hodge pure de poids n.

Si X est à présent une variété algébrique lisse (pas forcément propre, ni quasi-projective), les groupes de cohomologie Hn(X,C) ne sont plus nécessairement pures, mais extensions successives de structures de Hodges de poids compris entre 2n et n. C’est le Corollaire 3.2.15 de (Deligne 1971).

Le but de ce premier exposé introductif est de préciser les termes intervenant dans la définition d’une structure de Hodge mixte.

Définition 1. Une structure de Hodge mixte est la donnée

  1. d’un Z-module de type fini HZ, appelé réseau entier,

  2. d’une filtration W croissante finie de HQ=HZZQ, appelée filtration par le poids,

  3. d’une filtration F finie décroissante de HC=HZZQ, appelée filtration de Hodge,

telles que WC, F et F soient opposées.

Objets filtrés

On se place dans le cadre des catégories abéliennes. Quelques exemples :

  • (complexes de) groupe abéliens,

  • modules à gauche sur un anneau,

  • (pré)faisceaux en groupes abéliens sur un espace topologique,

  • …,

mais surtout

  • structures de Hodge mixtes.

Essentiellement, il suffit pour cet exposé de retenir qu’une catégorie abélienne A est telle que tous les ensembles de flèches sont munis d’une structure de groupe abélien, pour laquelle la composition est bilinéaire, et que toute flèche admet un noyau, un conoyau, une image et une coïmage.

Définition 2. Une filtration décroissante sur un objet A de A est une famille (Fn(A))nZ de sous-objets de A telle que

nmFm(A)Fn(A).

On pose de plus F(A)=0 et F(A)=A. Elle est dite finie s’il existe des entiers n et m tels que Fn(A)=A et Fm(A)=0.

On définit les filtrations croissantes de façon similaire. Dans la suite de l’exposé, sauf mention explicite du contraire, on ne considérera que des filtrations décroissantes.

Définition 3. Un morphisme de filtrations

f:(A,F)(B,F)

est un morphisme f:AB envoyant Fn(A) dans Fn(B) pour tout nZ.

Un tel morphisme admet un noyau, une image, un conoyau, une coïmage.

Un tel morphisme est dit strict s’il induit un isomorphisme entre sa coïmage et son image.

Définition 4. Le gradué Gr associé à une filtration F sur A est défini par

Grn(A)=Fn(A)/Fn+1(A).

On peut alors définir la filtration duale de F de telle sorte que

Grn(A)=Grn(A).

Pour cela on pose Fn(A)=(A/F(n+1)(A)) et on se convainc avec le diagramme autodual suivant que c’est bien la chose à faire.

Unknown environment 'tikzcd'

Définition 5 (Filtrations induite et quotient). Soit X un sous-objet de A.

0XjApA/X0

On définit les filtrations induites par F sur X et A/X par

Fn(X)=j1(Fn(A))

et

Fn(A/X)=p(Fn(A))Fn(A)/Fn(X).

Si XY sont deux sous-objets de A, on peut définir à la fois une filtration sur le quotient Y/X vu comme sous-objet de Y, ou bien vu comme sous-objet de A/X, c’est-à-dire sur ker(A/XA/Y). Les deux filtrations obtenues coïncident, et celle-ci est autoduale, car on a le diagramme de flèches strictes suivant.

Unknown environment 'tikzcd'

On termine ce paragraphe en s’intéressant au comportement des suites exactes vis-à-vis des filtrations. Soit

Σ:AfBgC

une o-suite. Si B est filtré, son groupe de cohomologie

H(Σ)=ker(g)/Im(f)ker(coker(f)Coïm(g))

est muni de la filtration induite.

Proposition 6. On a les équivalences suivantes.

  1. Soit f:(A,F)(B,F) un morphism d’objets filtrés. La suite

    0Gr(ker(f))Gr(A)Gr(B)Gr(coker(f))0

    est exacte si et seulement si f est stricte.

  2. On a Gr(H(Σ))H(Gr(Σ)), donc Σ est exacte dans A si et seulement si Gr(Σ) est exacte dans AZ.

Filtrations opposées

L’idée est de se <<ramener>> à la décomposition Hn=p+q=nHp,q dans le cas des variétés kälheriennnes compactes, en mimant la condition p+q=n, avec n donné par une nouvelle filtration W, celle du poids. On omet pour le moment la plupart des démonstrations de ce paragraphe.

Soient F et G deux filtrations sur un objet A de A.

Lemma 7. *On a un isomorphisme

GrGnGrFm(A)GrFmGrGn(A)

pour tous les entiers n et m.*

Proof. En se ramenant aux définitions, on voit que les deux membres sont le quotient de Gn(A)Fm(A) par (Fm+1(A)Gn(A))+(Gn+1(A)Fm(A)) et donc que F et G jouent des rôles symétriques. ◻

Définition 8. Soit n un entier. Deux filtrations F et F sont dites n-opposées si

p+qnGrFpGrFq(A)=0.

Définition 9. Trois filtrations finies W, F et F sont dites opposées si

p+q+n0GrFpGrFqGrWn(A)=0

c’est-à-dire si les filtrations induites par F et F sur GrWn(A) sont (n)-opposées pour tout entier n.

Le résultat fondamental est le suivant, voir Théorème 1.2.10 dans (Deligne 1971).

Théorème 10. Soit A une catégorie abélienne. Soit A la catégorie dont les objets sont ceux de A munis de trois filtrations opposées W, F et F, et les flèches sont les morphismes dans A compatibles à ces filtrations.

  • A est une catégorie abélienne.

  • Les noyaux et conoyaux sont ceux donnés dans A munis des filtrations induites.

  • Tout morphisme dans A est strictement compatible aux trois filtrations. Les morphismes induits par les gradués de F et F sont strictement compatibles àW, tandis que ceux induits par le gradué de W sont compatibles à F et F.

  • Les foncteurs oublis, GrW, GrF, GrF et GrWGrFGrWGrF de A dans A sont exactes.

Deligne, Pierre. 1971. “Théorie de Hodge: II.” Publications Mathématiques de l’IHÉS 40: 5–57.